La femme au flacon de myrrhe : gratitude envers Dieu

Les Evangélistes ont des récits divergents sur la femme qui oignit Jésus d’une myrrhe précieuse, mais le sens reste le même.

D’après le témoignage de Jean, six jours avant la pâque, le Seigneur se rendit à Béthanie (village situé à trois kilomètres de Jérusalem) où il partagea un repas avec les maîtres de la maison. Selon toute apparence, il s’agit de la maison de Lazare, que Jésus avait ressuscité quelques jours plus tôt. Marthe, l’une des sœurs de Lazare, s’occupait des invités, et l’autre, Marie, ayant pris une livre d'un parfum de nard pur de grand prix, oignit les pieds de Jésus, et elle lui essuya les pieds avec ses cheveux; et la maison fut remplie de l'odeur du parfum (Jn 12, 3). Ce parfum très précieux était utilisé à des occasions particulièrement solennelles. On en oignait les rois et les prêtres. C’est pourquoi l’on peut comprendre la réaction de l’apôtre Judas, que l’acte de cette femme avait troublé : Pourquoi n'a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, pour les donner aux pauvres? (Jn 12,5). Mais le Christ prit la défense de la femme, expliquant : «Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, mais Moi vous ne m’aurez pas toujours» (Jn 12,8). Il n’y a pas de générosité trop grande que l’homme puisse manifester envers Dieu.

Dans les récits de Mathieu et de Marc, cet événement survint deux jours avant la Pâque, non pas chez Lazare mais chez Simon le lépreux. La femme (les Evangélistes ne donnent pas son nom) versa de la myrrhe sur la tête du Sauveur, après quoi le Christ expliqua aux disciples mécontents qu’elle Le préparait ainsi pour Son ensevelissement. Je vous le dis en vérité, partout où cette bonne nouvelle sera prêchée, dans le monde entier, on racontera aussi en mémoire de cette femme ce qu'elle a fait. — ajouta le Seigneur (Mt 26,13).

Onction des pieds du Christ. Miniature de manuscrit. Arménie, XIIIe siècle

Luc, pour sa part, place cet évènement bien plus tôt dans le temps. Simon, précise-t-il, était pharisien, et la femme qui lava les pieds du Sauveur avec ses larmes et y versa de la myrrhe était connue pour être une pécheresse. Le maître de maison fut troublé par son apparition et encore davantage par son acte : si Jésus avait été un prophète, pensa Simon, il saurait qui et de quelle espèce était la femme qui Le touchait. Le Seigneur connaissait ces pensées, et Il raconta à Simon la parabole suivante : «Un créancier avait deux débiteurs: l'un devait cinq cents deniers, et l'autre cinquante. Comme ils n'avaient pas de quoi payer, il leur remit à tous deux leur dette. Lequel l'aimera le plus?» — «Celui, je pense, auquel il a le plus remis.». — «Tu as bien jugé. — répondit Jésus. — Vois-tu cette femme? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m'as point donné d'eau pour laver mes pieds ; mais elle, elle les a mouillés de ses larmes, et les a essuyés avec ses cheveux ; Tu ne m'as point donné de baiser ; mais elle, depuis que je suis entré, elle n'a point cessé de me baiser les pieds. Tu n'as point versé d'huile sur ma tête ; mais elle, elle a versé du parfum sur mes pieds. C'est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés ont été pardonnés : car elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui on pardonne peu aime peu.» (Lc 7, 39-47).

Les récits des Evangélistes ont des lacunes. Si la femme était pécheresse, il est peu probable qu’il s’agisse de la sœur de Lazare : d’après les récits de l’apôtre Jean, Marie était une jeune fille pieuse (d’ailleurs dans la tradition catholique on a longtemps considéré que la pécheresse était Marie Madeleine). Si Simon était lépreux, il est peu probable que Jésus lui ait reproché de ne pas Le toucher. Et puis, dans une version, la femme met du parfum sur la tête du Sauveur, dans l’autre, sur Ses pieds…

Certains exégètes en ont même conclu que les Evangélistes ne parlaient pas du même évènement, mais de plusieurs évènements qui se ressemblaient.

Pourtant, un fait reste un fait : quelques jours avant les souffrances de Jésus Christ sur la Croix, une femme vint dans la maison où Il avait été invité et versa sur Lui une myrrhe précieuse. Que voulait elle dire par cet acte ?

Nous ne pouvons pas le savoir. Mais nous pouvons supposer que par ce moyen, cette femme, quelle qu’elle soit, remerciait le Christ pour quelque chose d’important pour elle.

Marie, la sœur de Lazare, Lui était infiniment reconnaissante pour la résurrection de son frère ; Marie Madeleine, pour sa propre guérison (l’Evangile de Marc rapporte que Jésus l’avait délivrée de sept démons). N'importe quelle pécheresse avait des raisons de remercier le Seigneur pour la compassion et la miséricorde qu'Il leur manifestait constamment. Souvenons-nous, par exemple, de l’épisode avec la femme surprise en train de commettre l’adultère, et des paroles du Christ : Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre (Jn 8, 3-11). Ou bien de ce qu’Il dit, une autre fois : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. (Mc 2, 17).

Chacun aurait eu une raison de remercier le Sauveur, pourtant on constate que l’Evangile contient très peu d’occasions durant lesquelles les gens manifestent leur reconnaissance. Ce que les hommes Lui infligèrent à la fin, est bien évidemment le summum de l’ingratitude.

Quelle joie de voir que la veille des jours les plus terrible, il s’est trouvé une femme (ou bien peut-être même plusieurs), qui est venue le trouver, tout simplement pour Lui exprimer sa gratitude !

Elle ne devinait sans doute pas que ce geste de gratitude était plus qu’un simple geste. Elle ne savait sans doute pas que quelques jours plus tard le Maître serait crucifié et ensuite enseveli à la hâte, avant que le soleil ne se couche et que ne commence le samedi, jour du sabbat, et que l’on n’aurait pas le temps d’oindre Son corps avec des aromates, selon l’usage. En versant de la myrrhe sur le Sauveur, cette femme, sans le savoir, accomplissait le rite funéraire de l’onction et confessait qu’Il était le Christ, car en grec, le mot Χριστός (Christos) signifie « oint ».

Tout cela, bien sûr était très important et plein de sens. Mais le plus important, c’est la décision de cette femme - dont nous ne sommes même pas sûrs de connaître le nom - d’exprimer au Sauveur du monde sa simple gratitude humaine. De sa part et de la part de tous ceux qui auraient pu le faire mais s’en sont abstenus.

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