Parabole des talents. 16e dimanche après la Pentecôte.

Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit!

La parabole d’aujourd’hui sur les talents appartient à toute une série d’avertissements prophétiques et de récits allégoriques du Christ sur le Jugement dernier. La lecture des chapitres 24 et 25 de l’Evangile de Mathieu dont est extraite cette parabole nous permet de constater que le Sauveur nous avertit de trois dangers susceptibles de nous amener au jugement non préparés.

Le premier est la négligence, le deuxième la pusillanimité, le troisième est d’avoir mené une vie indigne de l’homme par son manque de délicatesse et sa cruauté.

La négligence est décrite par le Christ dans trois paraboles : la première c’est la négligence bienheureuse, joyeuse, une négligence que nous considérons comme normale. Le Christ dit : « Veillez car le jugement, le jour du Seigneur, viendra soudainement, comme il est venu aux jours de Noé. A cette époque, les gens mangeaient et buvaient, ils se mariaient, ne songeant à rien d’autre qu’à la terre, aux joies quotidiennes de la vie. Cependant, le jugement du Seigneur croissait et, un beau jour, les a tous frappés de sa colère et du déluge. Plus tard il en sera ainsi : deux femmes travailleront à la meule : l’une sera prise, l’autre non ; deux hommes seront dans les champs, l’un sera pris, l’autre non… » Cette négligence nous est si habituelle, si familière, bienheureuse et joyeuse, à nous qui profitons de la vie en oubliant qu’elle n’est pas si plate, qu’elle est profonde, sans fond, et qu’elle mène à l’éternité.

L’autre négligence est mauvaise, elle profite de ce que Dieu, soi-disant, ne se hâte pas de venir faire justice ; mais l’apôtre Pierre dit que Dieu tarde car il est plein de patience envers nous… La parabole du Seigneur du chapitre 24 parle d’un serviteur qui a été envoyé surveiller les autres. Il lui avait été ordonné de veiller à ce qu’ils vivent bien dans la maison de leur maître en son absence, alors que ce dernier ne peut voir leur vie et subvenir à leurs besoins. Et ce serviteur pensa : « Le maître ne rentrera pas de si tôt ; je vais boire, manger, faire la fête ; les serviteurs, je vais les battre et les maltraiter – c’est moi le maître. » s’imaginant qu’ils sont sous son pouvoir, comme si en l’absence du maître il en avait la dignité. Or le maître est revenu alors qu’on ne l’attendait pas, a surpris son serviteur infidèle en flagrant délit et l’a chassé. C’est la deuxième négligence, celle, mauvaise, du péché, qui nous est elle aussi familière. Nous aussi, nous ne nous hâtons pas de devenir meilleurs parce que le Seigneur et son jugement son loin. Nous ne nous hâtons pas de faire le bien parce que nous avons encore le temps ; un jour, quand nous en aurons assez de faire le mal, nous aurons bien le temps de nous tourner vers le bien ! Mais le Jour du Seigneur approche et, un beau jour, à une certaine heure, le jugement sera devant nous et nous – devant le jugement.

Il y a encore une négligence que le Seigneur décrit dans la parabole des neuf vierges dont cinq étaient sages et cinq folles. C’est la négligence somnolente qui espère qu’elle aura encore le temps de tout : de vivre, d’aimer, de se corriger. Dieu ne viendra pas pendant les heures de veille nocturne, on peut encore somnoler, rêver et on reviendra à soi quand se présenteront les signes avant-coureurs du jugement… Mais le jugement arrive dans la nuit – en effet pour celui qui dort, c’est la nuit à toute heure – et on est pris à l’improviste.

Voila, la négligence joyeuse, bienveillante, apparemment pas méchante ; la négligence irresponsable, malveillante et mauvaise ; et la négligence qui nous est terriblement familière à tous : demain nous aurons le temps, aujourd’hui rêvons… C’est le premier groupe d’avertissements du Seigneur.

Ensuite, c’est la parabole des talents. Le Seigneur fait un don à chacun selon ses forces et nous appelle à porter des fruits aussi riches que les dons que nous avons reçus. Or, souvent nous ne faisons rien de ces dons : nous recevons une intelligence mais nous ne l’enrichissons pas ; nous recevons un cœur sensible mais ce cœur ne demeure qu’un potentiel de sensibilité, dans les faits il somnole dans l’amour-propre, il croupit ; il nous est donné une volonté, parfois forte, mais qui reste stérile et inutile. Beaucoup de ce que Dieu nous a donné, nous le gardons en l’état et nous ne portons aucun fruit. Pourquoi ?

Pas toujours par négligence, mais parfois parce que nous sommes pris par la pusillanimité, la lâcheté. Il nous semble (et c’est vrai) qu’il faut tout risquer pour arriver à quelque chose : notre tranquillité, notre confort, nos relations, notre vie, - ou tout ou au moins une partie ; et nous pensons : « non, je vais rendre au Seigneur ce qu’Il m’a donné, mais je ne vais pas risquer de me perdre et d’en répondre au Seigneur - non...». Et lorsque arrive le jugement, on s’aperçoit que ce qui nouse  nous avait été donné n’a jamais été à nous mais a toujours appartenu au Seigneur. Bien souvent, le Seigneur le reprend et le donne à celui qui est prêt à risquer sa vie, sa tranquillité, son confort, tout son corps et son âme afin de porter du fruit, de pas être un mort-vivant, mais d’être vivant et fécond.

Il y a enfin, la parabole que nous lisons avant le Grand Carême, sur les brebis et les boucs, sur le jugement dernier. Sur quoi porte ce jugement ? Non pas sur le fait que nous n’ayons pas eu quelque grande révélation, mais sur le fait que nous n’avons pas été tout simplement des hommes, nous ne sommes pas parvenus à répondre avec un cœur humain, un coeur de chair, vivant, à la pauvreté, la tristesse, la douleur d’une autre personne, au danger qui la guettait. Celui qui ne peut être un homme sur terre ne peut être un homme dans les cieux ; celui qui ne peut être un homme dans les petites choses ne grandira jamais à la mesure de l’Homme Jésus Christ.

Ceci est un avertissement du Seigneur sur le jugement : non pas parce que le Seigneur viendra et que nous aurons peur, mais parce qu’Il viendra et que nous regretterons amèrement  d’avoir vécu sans être devenu des hommes : par lâcheté, par indolence, par vil amour-propre ou simplement par négligence distraite. Le jugement nous frappera parce que nous vivons toute notre vie sans remarquer qu’elle est profonde, vaste, qu’elle bat son plein depuis les profondeurs divines où elle nous emporte.

Méditons ces images, revenons à nous-mêmes et nous vivrons non pas une vie étroite et pauvre, qui ne consiste qu’en nous-mêmes mais d’une vie vaste, profonde, qui repose en Dieu et reçoit de Lui la source de sa force infinie, qui nous emporte dans l’éternité où chacun a sa place et où chacun reçoit la majesté. Car avec la grâce du Saint Esprit et l’amour du Seigneur l’homme peut se dépasser et devenir homme-dieu à l’image de Jésus Christ. Amen.

Mgr Antoine (Bloom) de Souroge

1970 ou antérieurement.


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