De l’amour chrétien. 19e dimanche après la Pentecôte.

Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.

Dans l’Evangile d’aujourd’hui, le Christ parle de l’amour chrétien non pas en paroles générales mais de façon concrète, simple et accessible. L’amour est chrétien, divin lorsque l’être humain en aimant, s’oublie lui-même. S’oublier soi-même jusqu’au bout est donné aux saints, mais aimer sans chercher de récompense, sans demander ni exiger d’amour en échange de l’amour, sans extorquer de reconnaissance en retour est le début de l’amour chrétien. Il s’épanouit dans l’amour du Christ, lorsque le libre don de l’amour est fait non pas seulement à ceux qui nous sont chers (ce qui est à la portée de tous) mais aux mal aimés, à ceux qui nous haïssent, qui nous considèrent comme leurs ennemis, qui nous sont étrangers.

Si nous ne sommes pas capables d’étendre notre amour à ceux qui sont nos ennemis, cela signifie que nous nous ne nous souvenons que de nous-mêmes et que toutes nos actions, tous nos sentiments sortent de la conscience d’un être encore non transfiguré se trouvant hors du mystère du Christ. Nous sommes appelés à aimer d’un cœur généreux, mais la générosité, même naturelle, consiste en ce que la personne ait soif de donner, qu’elle se réjouisse lorsqu’elle peut donner non seulement ce qui lui est superflu mais aussi son cœur, sa pensée, sa vie. Nous ne savons pas aimer, mais toute notre vie est une école d’amour, ou au contraire un temps effroyable de froide et sombre aliénation.

Et voila que le Christ nous ouvre une voie pour apprendre à aimer : à chaque fois que je me souviendrai de moi-même sur le chemin de l’amour, à chaque fois que je me dresserai en obstacle au mouvement et à l’action de mon cœur vivant et vrai, je devrai me retourner vers moi-même et dire : « Passe derrière moi, satan (Mc. 8, 33) : tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. » A chaque fois que, manifestant de l’amour, j’exigerai en échange une réponse, de la reconnaissance pour un bienfait, je dois me tourner vers Dieu et dire : « Pardon Seigneur, j’ai souillé le mystère de l’amour divin… A chaque fois qu’en réponse à la haine, la calomnie, la méchanceté, ou l’exclusion je me tairai et penserai : « Cette personne m’est étrangère, c’est un ennemi », - je dois savoir que pour moi – non pas en moi mais pour moi-même – le mystère de l’amour s’est fermé, je suis hors de Dieu, je suis hors du mystère de la fraternité humaine, je ne suis pas un disciple du Christ.

Voila la voie ; le Christ ne dit pas en vain que le chemin qui mène au Royaume de Dieu est étroit, que les portes sont étroites : ce chemin est très étroit, et le commandement du Christ est très exigeant, d’une exigence sans pitié parce qu’il se trouve dans le domaine de l’amour et non pas de la loi. La loi détermine pour nous des règles de vie mais elle s’arrête toujours quelque part et derrière cette limite elle ne nous touche pas. L’amour ne connaît pas de limite ; il nous veut jusqu’au bout, entièrement. Nous ne pouvons pas seulement réchauffer une partie de notre âme ; si nous faisons cela nous allons nous éteindre et nous refroidir. Nous devons embraser tout notre cœur, notre volonté et notre corps pour nous changer en un buisson ardent, ce buisson que Moïse a vu dans le désert, qui brûlait de tout son être sans se consumer. L’amour humain, lorsqu’il n’est pas illuminé par le mystère divin, dévore la substance dont il se nourrit. L’amour divin brûle, transforme tout en une flamme vivante mais ne se nourrit pas de ce qui brûle ; dans cet amour divin brûle tout ce qui ne peut vivre éternellement ; il reste une flamme pure et claire qui transforme l’homme en Dieu, comme le dit l’Ancien Testament et comme le répète le Christ. Apprenons le prix de la brûlure de l’amour, le prix du détournement de soi, le prix du sacrifice, apprenons de cet amour. Alors seulement nous pourrons dire que nous sommes des disciples du Christ. Amen.

Mgr Antoine (Bloom) de Souroge

28 octobre 1973

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