La sainte communion, sacrement de la joie

Qu’est-ce que l’eucharistie ?

La communion. Certains, années après années, n’osent pas s’en approcher, d’autres sont découragés par l’effort à fournir pour s’y préparer, certains n’y voient qu’un rite ordinaire, d’autre encore ne se décident à communier que lorsqu’ils sont très malades ou bien aux portes de la mort…

Pourtant, la communion est la raison de vivre de l’Eglise terrestre. Nous avons parlé de la communion ou de l’eucharistie, centre de la vie chrétienne, et des questions et doutes qui entourent ce sacrement, avec le métropolite Hilarion de Volokalamsk (Alfeyev), représentant du Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou.

 

Expliquer l’inexplicable

— Monseigneur Hilarion, vous rappelez-vous la première fois que vous avez communié ? Votre relation à la communion a-t-elle changé avec le temps ?

—  Je ne me souviens plus de ma première communion, mais je peux vous dire que ma vie a changé radicalement à partir du moment où j’ai commencé à communier, vers treize ans. J’ai été baptisé à onze ans ; à treize ans j’ai commencé à communier régulièrement et je pense que cela m’a changé en profondeur : au fond, c’est cela qui m’a amené à la décision de consacrer ma vie à l’Eglise et à Dieu.

— Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est la communion et pourquoi on l’appelle « sacrement des sacrements » ?

— L’Eucharistie est l’union la plus étroite qui soit possible sur cette terre, de l’homme avec Dieu. Cette union n’est pas seulement intellectuelle et émotionnelle, mais physique. Le Seigneur nous en a fait le don sous une forme familière pour l’être humain : le repas. Comme lors d’un repas ordinaire, la nourriture que nous consommons, au moment où elle est assimilée, se transforme dans le tissu de notre organisme, si bien que l’homme s’unit à la nature de cette nourriture, ainsi, dans l’eucharistie : nous nous unissons invisiblement avec le Christ en communiant à Lui.

C’est cela qui fait de la théologie orthodoxe, non pas une théorie abstraite mais une expérience vivante, une communion réelle avec Dieu, c’est ce qui fait de l’Eglise chrétienne un phénomène unique sans lequel l’existence de notre monde n’aurait pas de sens ni de justification. Le Christ n’est pas avec nous comme un souvenir ou une idée abstraite, Il est avec nous dans toute la force du terme à travers l’eucharistie. C’est pour cela qu’elle constitue la richesse et le pivot de l’existence de l’Eglise.

— Historiquement, comment ce sacrement est-il apparu ? Le Christ l’a-t-il instauré Lui-même ?

— Historiquement, il est apparu en remplacement du repas pascal de l’Ancien Testament : les Hébreux se rassemblaient, en famille, et sacrifiaient un agneau qu’ils mangeaient durant la nuit précédant la Pâque. Dans les Ecritures, le Christ est appelé Agneau parce qu’Il a remplacé de sa personne l’agneau sacrifié que mangeaient les Hébreux en mémoire de leur libération de l’esclavage d’Egypte.

L’Eucharistie, telle que nous la connaissons, est apparue avant la passion du Sauveur, le soir de la Sainte Cène, alors que les apôtres s’étaient réunis pour accomplir les usages pascals de l’Ancien Testament. Jésus Christ, en leur donnant le pain et le vin, déclara : Prenez et mangez, ceci est mon corps, livré pour vous ; buvez cette coupe, ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. (Luc 22:19-20, Matthieu 26:26-28).

Ses disciples continuèrent ces réunions-repas : le premier jour de la semaine, jour de la résurrection du Christ, ils se réunissaient pour « la fraction du pain ». Petit à petit, au fur et à mesure que les communautés chrétiennes grandissaient, l’Eucharistie s’est transformée pour devenir l’office que nous connaissons aujourd’hui.

 

Pourquoi ce sacrement est-il « terrible »?

— Dans les prières, la communion est appelée terrible sacrement. Pourquoi terrible ? De quoi devons-nous avoir peur ?

— Nous ne devons pas craindre un quelconque châtiment, mais plutôt le fait qu’ayant reçu un immense trésor, nous le perdions aussitôt, sans qu’il porte de fruits ! Nous oublions que la communion nous engage considérablement : une personne qui a reçu Dieu en elle ne peut continuer à vivre comme elle le faisait auparavant. Son union avec Dieu ne s’arrête pas avec la communion et ce qui se passe, après la liturgie, au moment où la personne retourne dans le monde, est très important. Car elle y retourne afin de porter aux hommes la lumière et la grâce qu’elle a reçues !

Bien souvent cela se passe autrement. Il y a des gens qui, considérant ce sacrement de manière erronée (comme une tradition, un « devoir religieux »), communient dans le vide : leur vie ne change pas. C’est cela qu’il faut craindre, c’est cela qui est terrible.

— N’est-ce pas à cause de l’habitude ? L’homme s’habitue à tout, comme on dit.

— Vous savez, je pense qu’on peut comparer la vie d’un croyant avec celle d’un musicien. Un musicien, année après année, joue toujours les mêmes œuvres. Imaginez vous, par exemple, un pianiste qui, à 20 ans, joue pour la première fois une rhapsodie de Brahms, et à 70 ans la joue pour la 455e fois. S’il s’habitue à cette œuvre, si au bout de la 100ème fois il se met à la jouer comme une œuvre qui n’a plus aucun intérêt pour lui, qui ne parle plus à son âme, le public s’en rendra compte tout de suite et cessera d’aller à ses concerts. Pourtant, les grands musiciens, pendant des décennies, ont joué les mêmes choses, sans se lasser ni lasser le public. Quel est leur secret ?

Le secret, c’est que chaque grande œuvre musicale contient une vérité spirituelle et morale ainsi que des forces vives qui provoquent le mouvement à chaque fois qu’elles sont jouées. Si un musicien ne les ressent plus, le problème ne vient pas de l’œuvre mais de lui-même.
C’est la même chose avec la vie spirituelle. L’office, globalement, est immuable, c’est là sa grande force. A la différence des concerts auxquels une personne se rend régulièrement pour entendre à chaque fois quelque chose de nouveau, nous, quand nous allons à la liturgie, nous savons à l’avance dans quel ordre celle-ci va se dérouler. Toutefois, la communion est la rencontre avec Dieu, et cette rencontre, à chaque fois, est nouvelle pour nous.

— Que veut dire communier « pour mon jugement » ? De quoi s’agit-il ?

— Le premier homme qui a communié pour son jugement est Judas. Il a participé à la Sainte Cène et, comme tous les Apôtres, il a reçu le Corps et le Sang du Christ. Et ensuite il a accompli un crime qui est le résultat de sa dualité intérieure, la conséquence du fait qu’il s’est approché de l’eucharistie alors qu’il avait prévu sa trahison et non pas avec un cœur et des pensées pures. C’est pour cela que le Sacrement ne l’a pas sauvé.

— Nous aussi, le sacrement peut ne pas nous sauver ? Communier « pour son jugement » implique des châtiments, comme le dit l’Apôtre, car celui qui mange et boit indignement boit son propre jugement en ne distinguant pas le Corps du Seigneur. C'est pour cela qu'il y a parmi vous beaucoup d'infirmes et de malades, et qu'un grand nombre sont morts. (1 Corinthiens 11:29-30)

— Ces paroles ne doivent pas nous amener à nous priver de la communion par peur de notre indignité. Au contraire, c’est une invitation à communier mais en même temps à vivre sans relâchement, non pas en végétant, mais dans une tension spirituelle constante.

— La communion a-t-elle une action objective que nous devrions ressentir ?

— Oui, elle consiste dans le fait que l’homme, à chaque communion, devienne meilleur. Cependant il ne doit pas obligatoirement le ressentir, au contraire : plus il s’améliore d’un point de vue spirituel, plus il voit clairement ses défauts et reconnaît son indignité. Son entourage, pour sa part, comprend que sa vie spirituelle a une action transfigurante sur lui et sur sa vie, et sur tous ceux qui l’entourent.

Il ne nous est pas demandé d’évaluer nos succès mais de nous efforcer à toujours demeurer dans les hauteurs de la vie spirituelle, afin que notre zèle pour la liturgie et notre soif de la communion ne nous quittent pas, mais au contraire, grandissent en nous.

— Il arrive souvent que les proches d’un mourant ou d’une personne gravement malade veuillent le faire communier sans considérer le fait qu’elle ne soit jamais allée à l’église et ne comprenne pourquoi communier. Que faire dans ce cas ?

— Quand un personne approche de la mort, elle réévalue son système de valeurs : elle commence à se souvenir de sa vie, ses activités terrestres passent au second plan, certaines de ses opinions peuvent disparaître. Moi-même, plus d’une fois, je me suis retrouvé dans cette situation, où l’on me demandait de venir donner la communion à une personne gravement malade ou mourante qui n’avait jamais communié avant, ne s’était peut-être pas confessée et n’était allée à l’église qu’une seule fois dans sa vie. Mais cette personne approchait de la communion d’une manière pleinement consciente, parce qu’elle sentait la proximité de la mort et, dans son âme, un grand travail de réévaluation des valeurs était en train de s’opérer. Sur son lit de mort, ces personnes comprennent que la chose la plus importante qui leur reste à accomplir durant les derniers instants de leur vie terrestre, est de s’unir à Dieu avant que soit tracé le trait qui séparerait la vie de la mort.

Il est donc évident qu’il faut donner la communion aux mourants. Mais il ne faut pas attendre le moment où la personne ne sera plus en mesure d’agir et ne sera plus en état, ni de se confesser, ni même de recevoir la communion. Bien souvent, j’ai été très triste quand on me demandait de venir donner la communion à un mourant, de trouver une personne qui ne parlait déjà plus, n’était plus consciente et était incapable d’avaler. Je demandais alors aux gens : « Pourquoi avez-vous attendu si longtemps ? » - « Nous avions peur de lui faire de la peine ».

C’est une chose à ne pas faire ! Il arrive souvent que les proches aient peur d’appeler un prêtre auprès d’une personne gravement malade, de peur de blesser cette personne, la venue d’un prêtre, dans la conscience collective, étant associée avec l’approche de la mort. Mais contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, il ne faut jamais faire croire à un mourant qu’il ne mourra jamais ! Même s’il ne mourra pas tout de suite, il mourra un jour, tôt ou tard, et il vaut mieux lui donner la possibilité de se préparer à la mort, d’accueillir cet évènement important, plutôt que de le laisser avec ses illusions.

Il ne faut pas avoir peur de blesser une personne en faisant venir un prêtre et en demandant la communion pour elle. Le mieux que nous puissions faire pour une personne gravement malade ou mourante, c’est justement de lui permettre de communier.

— Qui, aujourd’hui, peut communier ? Un baptisé peut-il communier même s’il n’a pas conscience de ce qu’il fait ?

— On peut ne pas comprendre la grandeur et le sens de ce sacrement, on peut ne pas se sentir prêt intérieurement. Du moment qu’une personne a confiance dans l’Eglise et qu’elle a le désir de s’ouvrir à la rencontre avec Dieu, elle peut approcher les Saints Dons. Parce que c’est lui, justement, qui permet la croissance spirituelle. Chez les personnes qui communient régulièrement, des changements intérieurs commencent à s’opérer, qui sont parfois très difficiles à décrire ou à transmettre aux autres. Avec le temps, la simple confiance est remplacée par l’expérience spirituelle, et un jour, le chrétien déclare : « Je suis certain que c’est le Corps et le Sang du Christ, non pas parce que l’Eglise le dit, mais parce que je l’ai vécu, expérimenté, et je sais que ce je ne communie pas simplement à du pain et ne bois pas simplement du vin ».

— La confession rend-elle une personne digne de communier?

— L’être humain, imparfait, ne sera jamais digne de s’unir avec le Dieu parfait.  Notre nature humaine ne sera jamais en adéquation avec ce sacrement. Se préparer correctement, ce n’est pas s’auto-évaluer, mais reconnaître son indignité, son état de pécheur, et se repentir profondément.

Si une personne ne voit pas ses propres défauts, il y a un moyen très efficace : demander ce qu’il en est à notre entourage, à notre père spirituel et à nos proches. Ensuite, il faut décider fermement de se débarrasser de ses défauts, de travailler sur soi. Mais si cela est pratiqué en ne s’appuyant que sur ses propres forces, cela ne porte aucun fruit. Cela doit se faire avec l’aide de Dieu, cette synergie-là sera efficace. Et l’aide de Dieu, l’homme la reçoit à travers l’eucharistie, à travers la communion consciente avec Dieu.

— Tout cela provoque un ensemble de sensations désagréables : la conscience que nous sommes mauvais, la peur de communier sans réussir à garder en nous la grâce. Est-ce bien normal ?

— Vous oubliez la joie de l’homme qui reçoit Dieu en lui. On ne peut véritablement la décrire, il faut y entrer et l’eucharistie est justement la porte d’entrée vers cette joie.

Ici réside le paradoxe de l’eucharistie : nous communions avec le sentiment de notre état de pécheur et en même temps avec la joie que Dieu s’abaisse jusqu’à nous, nous purifie, nous illumine, nous donne des forces spirituelles, sans considérer notre indignité. C’est avant tout un don et une miséricorde de Dieu.

— Le travail sur soi, l’obligation et la constance sont-ils important, ou bien n’est-ce qu’une question d’amour et d’élan ?

— L’homme, outre le désir et l’élan qui jaillissent de son cœur, doit avoir de la discipline : sinon il perd sa forme spirituelle ! Tout comme un sportif doit toujours être dans une bonne forme physique, ou un musicien doit être dans un état émotionnel approprié afin de transmettre les émotions contenues dans la musique, le croyant doit toujours être «prêt au combat», afin que toutes ses pensées, ses paroles et ses actes soient conformes à l’Evangile.

C’est cela que nous appelons exploit. Dans le monde, quand on parle d’exploit, cela implique quelque chose d’extraordinaire : un exploit, c’est ce qu’accomplit un héros, dont le nom reste dans la postérité. Mais dans le langage ascétique chrétien, cela désigne le labeur quotidien, invisible de l’homme, et pour lequel on ne lui offrira pas de monument ni de bouquet de fleurs. Chaque chrétien est appelé à fournir cet effort.

— Qu’est-ce que cela veut dire concrètement?

— Cela veut dire ne pas vivre dans le relâchement, en rêvant à des lendemains meilleurs, mais vivre chaque moment intensément, faire l’expérience de notre lien avec Dieu et avec Sa présence dans le monde. Pour cela, il n’y a pas de moyen plus puissant que l’eucharistie. Ni la lecture de l’Evangile, ni la prière, ni le jeûne ne peuvent le remplacer.

Le Christ nous dit directement : Si vous ne mangez pas la Chair du Fils de l’Homme et ne buvez pas Son Sang, vous n’aurez pas la vie en vous (Jn 6,54). C’est pour cela que notre rencontre avec le Sauveur ne doit pas être un rendez-vous épisodique. C’est une aspiration constante vers Dieu, le désir de vivre avec Lui.

 

La fréquence de la communion

— A quelle fréquence recommandez-vous de communier ?

— Chaque personne doit déterminer le rythme de sa vie spirituelle et de la communion. Idéalement, il faudrait communier à chaque liturgie. Car toute la liturgie est une préparation à ce sacrement, tout comme célébrée la veille. Durant l’office, le Christ, à travers le prêtre, invite de nombreuses fois le peuple à communier : « Prenez, mangez, ceci est mon Corps, livré pour vous. » « Buvez en tous, ceci est mon Sang… » On ne dit pas « que ceux qui se sont préparés en boivent », « que ceux qui sont les plus dignes en boivent », ou bien «n’en buvez qu’une fois par an». Mais : « buvez en tous ». « Ceci est le Sang de la Nouvelle Alliance, versé pour vous et pour la multitude ». C'est-à-dire « pour vous ici présents ». C’est pour cela que dans l’Eglise antique, ceux qui venaient à la liturgie ne repartaient jamais sans avoir communié. Seuls les catéchumènes et les pénitents ne s’approchaient pas de la Coupe, ils restaient dans le narthex et ils partaient avant que la communion ne commence. Les membres de la communauté participaient au sacrement, et chaque communauté avait son rythme interne, qui était le même pour tous ses membres. Par exemple, à Césarée de Cappadoce, au IVe  siècle, on communiait quatre fois par semaine.

— Finalement, qu’est-ce qui selon vous est le plus important ?

— L’important, c’est que la communion ne se transforme pas en un phénomène rare ou exceptionnel. Il faut comprendre que l’eucharistie est un sommet. Il ne peut y avoir d’union plus étroite avec Dieu dans notre vie terrestre. Mais cela dépend de la façon dont nous vivons cette union, de la profondeur avec laquelle nous la ressentons. Nous ne savons pas comment l’être humain va s’unir à Dieu dans la vie future. Nous vivons dans la foi et l’espérance de ce qu’au seuil de la mort, c’est la pleine union avec Dieu le Créateur qui nous attend. Mais l’union la plus étroite avec Lui durant notre vie terrestre, c’est celle que nous recevons dans la communion. Et pour le chrétien, il n’y a rien de plus précieux ni de plus joyeux.

Illustrations : fragment de l’icône de la Trinité d’Andreï Roublev; fragment de mosaïque de la cathédrale du monastère Saint Michel au Toit d’or de Kiev.
Photo: Vladimir Echtokine ; slide azbuka.ru; site de la Cathédrale Russe de la Résurrection, Vancouver, Canada
Sur la vignette, photo flickr.com/massalim

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