Judas Iscariote : un traître, et non un «instrument de la Providence»

Le nom de Judas figure assez régulièrement dans la Bible. L’un des douze fils du patriarche Jacob s’appelait Judas. Ses descendants héritèrent du territoire appelé Judée. Judas Maccabée fut l’un des héros de la guerre de libération du peuple hébreu contre le chef syrien Antioche Epiphane.

Plusieurs disciples du Seigneur s’appelaient Judas. Mais pour nous, ce nom évoque immédiatement la personne de Judas Iscariote, celui qui trahit Jésus Christ.

Bien que Judas se soit tourné juste au bon moment vers les grands prêtres qui cherchaient le moyen de tuer le Sauveur, ils auraient très bien se passer de ses services, en payant quelqu’un pour suivre Jésus et l’arrêter à un moment favorable. Judas n’a fait que leur indiquer le lieu et le moment, afin qu’ils puissent prendre le Maître en secret et sans bruit, comme ils le désiraient. Cette trahison n’avait rien de grandiose ou d’horrible dans sa grandeur. C’était un acte médiocre, pour lequel Judas reçut une somme ridicule : trente pièces d’argent. Le prix d’un esclave, à l’époque. Le prix que les hommes attribuèrent à Dieu, comme l’avait prédit le prophète Jérémie.

Pourquoi Judas a-t-il fait cela?

Il existe une version populaire selon laquelle Judas aurait été l’instrument de la providence divine. Pour sauver les hommes du péché et du pouvoir du mal, le Christ devait souffrir, et donc, quelqu’un devait Le livrer aux mains de Ses bourreaux. A travers lui, d’après cette idée, s’accomplissait la volonté de Dieu, aussi ne peut-on lui faire de reproches.

La trahison de Judas. Portement de croix. Voûte ouest. Côté sud, registre inférieur ; Italie, Venise. Cathédrale Saint Marc ; XIIe s. ruicon.ru

On ne peut adhérer à cette idée pour une raison très simple: Dieu ne retire jamais à l’homme sa liberté, et, bien qu’Il essaye de tourner vers le bien nos mauvaises actions, elles ne deviennent pas bonnes pour autant. L’apôtre Paul est très clair là-dessus : « Et pourquoi ne ferions-nous pas le mal afin qu'il en arrive du bien, comme quelques-uns, qui nous calomnient, prétendent que nous le disons? La condamnation de ces gens est juste.» (Rom 3,8). Sans Judas, les grands prêtres auraient certainement trouvé un autre moyen d’arrêter et de condamner Jésus Christ. Le fait que suite à la trahison de Judas le Seigneur ait enduré une mort atroce sur la Croix et par ce moyen nous ait libéré d’une mort certaine ne signifie pas du tout que les motifs de Judas étaient nobles.

Une autre version décrit Judas comme un ardent militant de la libération de la Judée du pouvoir des Romains, qui comptait sur le Christ pour restaurer la royauté. En prenant le pouvoir, Jésus chasserait facilement l’occupant et rendrait à Israël sa gloire passée. Telles étaient les idées de Judas et d’autres juifs patriotes. Certains supposent même que le surnom Iscariote n’est pas lié à l’origine de Judas, comme on pourrait le penser («is-cariote» : d’un village appelé Kariot), mais est la déformation du mot «sicaire» : « dissident, militant pour l’indépendance».

Les adeptes de cette théorie pensent que Judas ne comptait pas du tout trahir le Christ. Simplement, voyant que Celui-ci ne se hâtait pas de s’emparer du pouvoir terrestre, il décida d’«accélérer le processus» et de provoquer une situation qui obligerait le Christ à agir. Quand Jésus fut arrêté et jugé, Judas comprit qu’il s’était trompé, et alla se pendre.

Il y avait, dans la Judée de l’époque, beaucoup de patriotes, mais une phrase, dans l’Evangile de Jean, ne correspond pas à cette image de Judas « militant pour l’indépendance ». Judas est décrit comme un voleur : tenant la bourse, il prenait ce qu'on y mettait. (Jn 12,6). Il tenait la bourse, et de temps en temps il se servait, disent les exégètes de ce passage, unanimes. C'est-à-dire que Judas volait, non seulement les riches (cela arrive aux révolutionnaires). Il volait aussi les siens ! La communauté réunie autour de Jésus Christ !

Cela explique-t-il son geste de trahison ? A première vue, non. Ce ne sont pas les trente pièces d’argent qui ont attiré Judas. S’il avait continué à suivre le Christ et à voler dans la bourse qui contenait les offrandes, il aurait pu, petit à petit, gagner bien plus d’argent.

Mais d’un autre côté…Un homme habité par une passion ne peut se sentir en paix en présence de Dieu. Voyant la beauté et la dignité du Christ, Judas devait ressentir cruellement sa propre indignité. Tôt ou tard, il devrait rompre avec le Christ. Et cela arriva pendant la Sainte Cène, au moment où l’ex-disciple se leva et sortit. Plus d’une fois, le Seigneur avait montré à Judas qu’Il connaissait ses intentions. Il dit clairement aux apôtres : L’un de vous Me trahira. Judas aurait pu réfléchir et changer d’avis. Pourtant, quittant la Sainte Cène, il fit son choix.

Même après son geste, il aurait encore pu se repentir. D’ailleurs il eut le temps de faire un pas vers le repentir : apprenant que le Maître était condamné à mort, il retourna voir les grands prêtres et jeta l’argent à terre en disant : « J’ai trahi un sang innocent». Mais son geste suivant fut tragique : Judas sortit en courant de la ville et en finit avec la vie… Il aurait pu, par exemple, prendre la défense du Christ lors du jugement chez Pilate. Ou bien, au moins, venir pleurer aux pieds de la Croix. Pour, ensuite témoigner du Christ dans différents pays, comme le firent les apôtres, et puis, peut-être, racheter sa faute en mourant en martyr…

Judas ne fit rien de tout cela. Il se repentit de ce qu’il avait fait, c'est-à-dire qu’il comprit qu’il avait fait une erreur, mais il ne se repentit pas devant Dieu, il ne fit rien pour se réconcilier avec le Christ, pour changer sa relation avec Lui. Son âme partit dans l’éternité pleine de trouble et d’angoisse. L’âme d’un homme qui avait trahi Dieu.

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