Quel est le plus grand des commandements ? Homélie pour le 15e dimanche après la Pentecôte.

Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.

Aujourd’hui le Christ nous donne, ou plus exactement, nous rappelle les deux commandements fondamentaux : aimer Dieu de tout notre cœur, de tout notre esprit et de toutes nos forces (c'est-à-dire avec toute la capacité d’aimer qui nous est donnée) et aimer son prochain comme soi-même.

Lorsque nous entendons le mot « commandement », nous le recevons toujours comme un ordre que nous devons exécuter et dont, si nous ne l’exécutons pas, nous porterons la responsabilité et nous serons châtiés : mais ce mot est doté d’une signification plus vaste. Il signifie testament de Dieu : après nous avoir créés, Il nous a offert la liberté, la possibilité de nous tenir debout sur nos propres jambes ; Il nous a donné la possibilité de choisir et celle d’accomplir notre vocation ou ne nous détourner de Lui. Ainsi, ce ne sont pas des « commandements » divins : ce sont des souhaits de bon voyage, ou bien un testament dans le sens des dernières volontés laissées par mourant à ses héritiers afin qu’ils les accomplissent.

Ah si seulement j’avais le désir de savoir aimer Dieu par l’esprit, le cœur et de toute la force d’amour qui peut se trouver en moi !... Mais je sais que je n’essaye même pas de L’aimer avec la même perfection, la même plénitude d’abnégation. Comme c’est étrange et triste : être aimés comme Dieu nous aime et être retenu par un cœur double... Dieu nous aime tant qu’Il nous appelle à l’être et prend le risque en nous donnant Son amour que celui-ci soit rejeté. Nous savons bien ce que signifie ouvrir son cœur à quelqu’un et être repoussé : « je n’ai pas besoin de toi ; peut-être que tu m’aimes, mais qu’est-ce que cela me fait ?! Je veux être libre, je veux être seul avec moi-même, je n’ai pas besoin de ton amour... ».

Nous pouvons connaître la mesure de l’amour de Dieu grâce au don qu’Il nous a fait dans le Christ : Il s’est fait homme, Il s’est fait l’un d’entre nous, Il nous appelle Ses frères et sœurs, Il donne Sa vie pour nous ! Si quelqu’un donnait sa vie pour un ami, pour un être qu’il aimerait profondément, ou d’autant plus pour une personne qui ne prendrait même pas en compte ce sacrifice, nous serions perplexes, ébranlés, nous nous arrêterions et réfléchirions, nous nous poserions des questions. Comment est-il possible que je n’aie rien, qu’il n’y ait rien en moi pour répondre au don du Christ, à ce qui est non seulement proposé mais donné à ce prix ?! Pourtant, je sais bien en moi-même que c’est ainsi ; et je pense qu’il n’y a personne parmi nous qui ne s’en rende vraiment compte et qui tâche véritablement d’aimer Dieu de tout son esprit, de tout son cœur, de toute la force d’amour, de toute la puissance possible !

Et voici qu’une parole nous est donnée, une mise en garde de Saint Jean le Théologien dans l’une de ses Lettres : si quelqu’un dit « j’aime Dieu » mais n’aime pas son prochain, il ment ; en effet comment pourrait-il parler d’aimer l’invisible, l’insaisissable, s’il n’est même pas capable d’aimer son prochain concret, palpable, dont la pauvreté est criante, dont l’amour est parfois proposé si généreusement, d’autres fois si timidement ?

Et voila le deuxième commandement du Christ, la deuxième parole de vie qu’Il nous propose : si tu veux apprendre comment aimer Dieu, au moins de façon rudimentaire, apprends à aimer ton prochain. Mais comment ? Aussitôt, dans notre arrogance, nous nous demandons comment aimer notre prochain avec grandeur d’âme, avec un héroïsme sacrificatoire : le Christ dit « Aime ton prochain comme toi-même ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Tout d’abord, sur le plan le plus bassement matériel, cela signifie que quel que soit ce que tu possèdes ou ce que tu prennes à la vie, tu prennes soin qu’au moins une personne, une seule personne, reçoive de toi autant que ce que tu prends à la vie… Et cela peut nous conduire très très loin parce que nous n’en faisons rien du tout. Si l’on pense à tout ce que l’on prend, prend, prend encore et exigeons, et qu’ensuite nous disions : d’accord ! Chacune de mes exigences est une exigence de mon prochain ; tout ce que je prends, je vais le donner à mesure égale à mon prochain, au mois une personne ! – que la vie serait généreuse ! Et si nous apprenions à faire cela, il est fort possible que nous apprendrions aussi à aimer Dieu.

L’Evangile de ce jour nous donne une indication là-dessus : aimer notre prochain, aimer même le plus cher de nos proches de tout notre cœur, généreusement. Mon attention à moi-même m’en empêche. Il n’y a pas d’autre voie pour apprendre à aimer qui que ce soit que de renoncer à soi-même.

C’est exactement ce que nous dit le Christ : renonce à toi-même ! « Renoncer à soi-même » signifie précisément ceci : au lieu de vivre pour soi sans considération pour autrui, sans prêter attention à quoi que ce soit d’autre, tourne-toi, regarde comme la vie est vaste, profonde et riche ! Renonce à toi-même et regarde ; contemple le visage des hommes, observe les situations humaines : considère la pauvreté des gens, regarde leur joie ! Regarde et vois ! – et détache-toi de toi-même. Et lorsque tu pourras voir les autres, voir comment ils sont, voir leur pauvreté, leur faim, leur joie, leur misère, - alors tu pourras donner, donner. D’abord un petit peu : ensuite plus tu donneras, plus tu pourras donner et aimer comme tu t’aimes toi-même, de la même mesure. Chacun de nous est assoiffé de plénitude de vie, d’accomplissement, du miracle de la vie - offrons-les à autrui !

Et lorsque nous aurons appris à nous détacher de nous-même pour donner à autrui, nous verrons que notre cœur sera devenu capable de se tourner vers Dieu ouvertement, avec amour, gratitude, joie !

Ce commencement : ce commandement du Christ « aime ton prochain comme toi-même » est donné aux plus faibles d’entre nous car chacun de nous, finalement n’aime personne plus que soi-même. Voici donc une mesure simple. Nous savons que faire ! Nous savons comment, combien, avec quelle plénitude – alors faisons-le ! Alors, libérés de l’esclavage à nous-même, nous verrons comme est vaste notre cœur, avec quelle force et quelle quantité de personnes nous sommes capables d’aimer ; nous verrons comment nous pouvons commencer à aimer Dieu en vérité, de tout notre esprit, de tout notre cœur, de toute la force de notre amour dans notre fragilité. Car ce n’est pas la force qui constitue l’essence de l’amour mais la faiblesse, la vulnérabilité de celui qui se donne généreusement, timidement, joyeusement. Amen.

Mgr Antoine (Bloom) de Souroge

1er Octobre 1989.

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