Réponses aux déclarations inconsequentes de l’évêque de Telmessos Job (Guetcha)

Protodiacre Vladimir Vassilik.

Le 17 septembre 2018, le représentant de l’Eglise Orthodoxe de Constantinople auprès du conseil mondial des Eglises, l’évêque Job de Telmessos, a donné une interview aux médias ukrainiens[1], de laquelle il ressort que l’Ukraine a soi-disant toujours été le territoire canonique du Patriarcat de Constantinople. Nous rappelons que l’évêque Job de Telmessos fut éloigné de la direction de l’Archidiocèse d’Europe Occidentale sur les nombreuses requêtes des croyants orthodoxes et de l’équipe des professeurs et des enseignants de l’Institut Saint-Serge en raison de ses manies autoritaires et de son incapacité à construire un dialogue avec son troupeau. Maintenant il appelle la direction de l’EOU (PM) à entamer un dialogue d’amour avec les schismatiques.

L’évêque Job s’efforce de toutes les manières de convaincre ses lecteurs que l’Ukraine est toujours restée une éparchie du patriarcat de Constantinople, depuis le Baptême de la Russie et même… après le transfert formel du patriarche de Constantinople Dionysios de tous les droits sur la métropole de Kiev au patriarche de Moscou Joachim.

Voici ce qu’il dit dans son interview :

« L’Ukraine était et est restée, même après 1686, le territoire canonique du seul Patriarcat Oecuménique. Après la réunification, au milieu du XVII° siècle, de la partie Rive gauche de l’Ukraine à l’état moscovite, l’Eglise d’Ukraine s’est trouvée divisée entre divers pays ennemis (la Russie, la Pologne et la Turquie), à cause de quoi, à Kiev, on ne put de longtemps élire un unique métropolite. Dans cette situation difficile, le patriarche Oecuménique, pour ne pas laisser le troupeau ukrainien définitivement sans le secours d’un archipasteur, transféra la partie de l’Eglise de Kiev des territoires soumis à Moscou sous la tutelle provisoire (la gouvernance) du patriarcat de Moscou, afin que celui-ci pût aider à installer à Kiev et autres éparchies de l’Ukraine de la Rive Gauche (Hetmanchtchina) des métropolites et des évêques. Avec cela, la condition principale restait l’exigence que les métropolites de Kiev restassent à l’avenir des exarchats autonomes de Moscou et appartenant au patriarche Oecuménique et que son nom fût obligatoirement rappelé pendant tous les offices religieux. C’est-à-dire que cela n’était d’aucune manière un transfert de la métropolie de Kiev sous l’autorité des patriarches de Moscou ».

Monseigneur Job, pour parler franchement, finasse. En effet, après le concile de Kiev, au cours duquel fut choisi le métropolite Gédéon (Tchetvertinski), comme le remarque le métropolite Macaire (Boulgakov), grand historien de l’Eglise, le hetman Samoïlovitch et Gédéon (Tchetvertinski), dans des lettres adressées au tsar et au patriarche, demandèrent d’envoyer de Moscou à Constantinople une ambassade[2] pour obtenir l’accord du patriarche de Constantinople, et demandèrent en même temps que soient respectés les droits et les privilèges de la métropole de Kiev[3]. Cependant, dans la réponse, on leur fit une compilation des chroniques , d’après lesquelles était fondé le droit des patriarches de Moscou sur la métropole de Kiev . Les chartes de réponse indiquaient que les droits et privilèges du métropolite de Kiev seraient préservés et que le titre d’exarque du patriarche de Constantinople était refusé[4].

Les ambassadeurs russes à Constantinople, Alexeïev et Lissitsa, restèrent aussi fermes sur leurs positions, quand ils rencontrèrent l’opposition du patriarche de Jérusalem Dosithée (qui considérait que le patriarche de Constantinople ne devait pas renoncer à la métropole de Kiev en faveur du patriarcat de Moscou et que cette affaire concernait tous les patriarches orientaux), et l’entêtement évasif du patriarche de Constantinople Dionysios. Je vous le demande, se seraient-ils tellement entêtés, s’il avait été question d’une gouvernance provisoire ?

Néanmoins, après l’accord du premier vizir pour le transfert de la métropole de Kiev sous l’autorité du patriarche de Moscou, le patriarche de Constantinople devint plus conciliant, dans la mesure où il avait besoin qu’il confirmât son élection à la chaire de patriarche. Le patriarche Dionysios envoya avec Alexeïev quelques chartes (au tsar, au patriarche de Moscou, à l’hetman, au métropolite de Kiev), qui, en substance, se résumaient à la cession de la métropole de Kiev au patriarche de Moscou[5].

Dans lesdites chartes, on ne dit rien du statut d’exarque du métropolite, ce qui eût été, d’un point de vue canonique, incompatible avec son intronisation par la main du patriarche de Moscou. En outre, connaissant les scrupules canoniques des dirigeants du royaume de Moscovie, il ne fait aucun doute qu’ils avaient demandé un transfert plein et sans conditions de la métropole de Kiev.

Les publicistes de Constantinople aiment à spéculer sur le fait qu’après avoir reçu les chartes, l’ambassadeur Nikita Alexeïev remit en offrande au patriarche Dionysios 200 pièces d’or et trois quarantaines de fourrures de zibeline. Cependant, puisque tout ceci s’est produit après le consentement du patriarche, il faut le considérer comme le don gratuit d’une Eglise fraternelle et non comme un pot-de-vin. De plus, il n’est guère convenable d’humilier ainsi leur propre patriarche de Constantinople.

Afin de convaincre ses lecteurs de la validité de ses prétentions sur l’Ukraine, l’évêque Job est prêt à s’appuyer sur n’importe qui. Y compris sur le serf des Turcs et le traître aux intérêts de la Petite-Russie Piotr Dorochenko. C’est ce qu’affirme solennellement l’évêque Job :

«La juridiction du patriarcat œcuménique s'étendait invariablement à la Bucovine ukrainienne et à la partie méridionale (dite" du Khan ") de l'Ukraine, qui était officiellement placée sous le protectorat du khanat de Crimée et de l'empire ottoman. L'hetman Piotr Dorochenko a même tenté de créer un État ukrainien placé sous le protectorat des sultans ottomans, à l'instar de ce qu'il y avait en Moldo-Valachie. Le métropolite de Kiev Joseph (Neliobovitch-Toukalski) , qui prônait la conservation de la métropole de Kiev sous la juridiction du Patriarcat Oecuménique, partageait son avis. A la suite des tentatives de l’hetman Dorochenko, tout le territoire de la Podolie orientale et occidentale (de Boutchats à Bratslav) passa , en vertu du traité de Boutchats en 1672, de la Pologne sous protectorat turc. Sur le terrioire de la Podolie ukrainienne, de 1672 à 1699, existait dans la composition de l’empire ottoman un eïalet (« région ») de Podolsk ou de Kamenets, avec son centre administratif à Kamenets (maintenant Kamenets-Podolski). Après la mort du métropolite Joseph (Nelioubovitch-Toukalski), le patriarche Œcuménique Jacques nomma en 1681 pour la ville de Kamenets le métropolite Pancrace, fondant de la sorte la métropole de Kamenets, dans la composition du patriarcat Œcuménique (elle exista pratiquement jusqu’à 1699) ».

Ici, monseigneur Job touche à l’une des pages les plus douloureuses et les plus honteuses de l’histoire du patriarcat de Constantinople et de la Malorossie.

En effet, quelques années après la mort du métropolite de Kiev Joseph (Nelioubovitch-Toukalski ; (+ 1675), en 1681, fut créée, en Podolie, une métropole du patriarcat de Constantinople, dirigée par Pancrace, « métropolite de Kamenets et Podolsk et de toute la Petite-Russie, exarque de Constantinople ». Son pouvoir s’étendait seulement sur la partie de la Retch Pospolita qui avait été prise par l’empire Ottoman, la partie restante de la métropole de Kiev se trouvait sous l’autorité de l’évêque de Lvov Joseph (Choumlianski), secrètement uniate, que le roi de Pologne, en 1679, avait nommé adminstrateur de la chaire de Kiev.

L’empire ottoman se trouva directement impliqué dans les affaires ukrainiennes après que fut passé sous sa suzeraineté l’hetman de la Rive Droite Piotr Dorochenko[6]. En 1672, le sultant Mehmet IV, après une résistance insignifiante, s’empara de la puissante forteresse de Kamenets Podolski. Les habitants furent épargnés, mais les plus belles jeunes filles furent envoyées dans le harem du sultan et presque toutes les églises transformées en mosquées. Ne furent conservées qu’une seule église orthodoxe, une seule église catholique, une seule église arménienne. De la sorte, dans la capitale de la métropole de Kamenets, dont se glorifie tellement monseigneur Job, il y avait en tout et pour tout une seule église (!) orthodoxe. La campagne victorieuse de la Porte contre la Retch Posoplita en 1672-1676 provoqua en Ukraine l’entrée de la Podolie, avec son centre de Kamenets-Podolsk, dans la composition de l’empire Ottoman et la formation de l’eïalet de Kamenets-Podolsk. Sur les provinces de Kiev et Bratslav fut reconnue la suzeraineté des ottomans. Les possessions de Piotr Dorochenko, de la sorte, gardèrent une autonomie des plus fantômatiques[7]. Le traité de Jouravenski de 1676, entre la Retch Pospolita et l’empire Ottoman, consolida définitivement la domination ottomane sur la plus grande partie du territoire de l’Ukraine de la Rive Droite. En outre, le passage de la Podolie à la juridiction ottomane entraîna l’établissement sur ces territoires des usages ottomans. Selon les témoignages de l’homme politique ottoman Sara Mehmet-pacha, une partie significative de la population quitta la région, après la signature du traité turco-polonais de 1672[8]. En lien avec ceci, on avait, à Istanboul, le projet de peupler ces terrioires de tatars de Pologne-Lithuanie[9]. En même temps, la partie restante de population non-musulmane était soumise à des impôts élevés[10], on avait instauré ce qu’on appelait l’impôt du sang (devchirmé), la pratique du prélèvement forcé des enfants de sujets chrétiens de l’empire pour le corps des janissaires (la garde personnelle du sultan). Dans la seule année 1673, furent incorporés, sur le territoire de l’eïalet nouvellement formé, dans les janissaires 800 petits garçons, circoncis et islamisés de force par la suite[11]. Sur les terrioires soumis au pouvoir ottoman, il était interdit de construire de nouvelles églises orthodoxes, une partie des églises existantes fut en outre fermée et transformée en mosquées[12]. Sur le territoire du soi-disant Hetmanat, les troupes ottomanes se conduisirent de telle façon que début 1673, l’hetman Dorochenko dût se préoccuper d’un traité qui préserva les églises chrétiennes de la violence sur le territoire du « vilaïet ukrainien ». Au reste, on se souciait assez peu des traités. Les Ottomans anéantirent toute la polulation masculine de la ville d’Ouman. A Tchiguirine, pendant une procession, le représentant du sultan exigea d’arracher la mitre du métropolite, parce qu’on ne permettait pas aux Grecs de s’habiller ainsi à Istamboul. Son alliance avec les ottomans compromit Dorochenko et le priva du soutien de la société ukrainienne. La venue de troupes ottomanes (et avec elles de l’exarque du patriarche), qu’avaient tellement cherché à obtenir Dorochenko et le métropolite Joseph, aboutit à cela que la plus grande partie du terrioire de l’Hetmanat cessa de reconnaître l’autorité de Dorochenko. On vit commencer un exode massif des gens de la Rive Droite à travers le Dniepr et de plus, à partir de 1675, s’en allèrent non seulement des gens simples, mais des proches de l’hetman. De la sorte, l’occupation de la Podolie, où fut fondée la métropole de Kamenetsk et Podolsk, par les ottomans, eut pour résultat la disparition quasi complète, sur ce territoire, du christianisme.

Les plans expansionnistes des ottomans de la deuxième moitié des années 70 du XVII° siècle étaient plus ambitieux et allaient jusqu’à Kiev et la Rive Gauche de l’Ukraine[13]. S’ils avaient réussi, alors toute la population orthodoxe d’Ukraine se fût retrouvée dans la même situation que les orthodoxes de la partie déjà occupée de la Rive Droite. C’est justement à de tels plans qu’une partie des historiens attribue le retard conscient de l’établissement d’un nouveau chef de la métropole de Kiev par le patriarcat de Constantinople.

De la sorte, le désir de Dorochenko et du métropolite Joseph de défendre l’indépendance de l’Hetmanat sans la Russie et contre elle, par une alliance avec les Ottomans, n’apporta rien de bon à l’Eglise Orthodoxe sur les terres ukrainiennes, mais povoqua un affaiblissement sensible de l’Hetmanat ukrainien, la ruine des églises, l’islamisation de nombreux Petits-russiens, la mort de milliers et l’exode de dizaines de milliers d’habitants de l’Ukraine. Les déclarations sur la défense de la foi tournèrent en trahison de l’Orthodoxie. Et l’histoire réelle de Kamenets-Podolski est l’une des pages les plus honteuses de l’implantation de la juridiction de l’Eglise de Constantinople sur les futures terres ukrainiennes.

Cependant, les actions militaires ultérieures entre les troupes russo-ukrainiennes et l’armée ottomane en 1677-1681 eurent pour résultat que les ottomans furent obligés de renoncer à la suite de leur politique expansionniste[14]. La rive droite du Dniepr s’avéra désertée et abandonnée par la majorité de la population locale[15]. Par exemple, après qu’au début de l’automne 1678 fut prise Kanev, par les troupes ottomanes, la ville était encore, en janvier 1679, restée ravagée, « l’église de la Très Sainte Mère de Dieu remplie de cadavres »[16]. Voilà ce qui aurait attendu toute l’Ukraine.

Comme nous le voyons, l’évêque Job, dans son argumentation, ne recule devant rien. Y compris devant les… popes sauvages errants, comme argument pour établir que Constantinople et l’Ukraine ne reconnaissaient vraiment pas l’autorité du patriarche de Moscou. Voici ce qu’il dit à ses auditeurs inexpérimentés :

« … dans les limites de la partie rive gauche de l’Ukraine (l’Hetmanat), c’est justement à partir des événements de 1686 que prend de l’ampleur un nouveau mouvement interne à l’Eglise, celui des popes « errants » ou « sauvages ». C’était en substance que les paroisses orthodoxess ukrainiennes de la Rive gauche, qui ne voulaient pas reconnaître le pouvoir du patriarcat de Moscou, invitaient à officier chez eux des prêtres ordonnés dans la juridiction du patriarcat Œcuménique, en Ukraine de la Rive Droite ou en Moldo-Valachie. Dans le cours de tout le XVIII° siècle, l’administration russe laïque et ecclésiastique persécuta cruellement ce mouvement et ses représentants, arrêtant et mettant en prison les prêtres « non canoniques ». Mais en dépit de cela, jusqu’à la fin du XVIII° siècle, les croyants de l’Ukraine de la Rive Gauche, au risque de leur vie, allèrent en Moldo-Valachie recevoir l’ordination de l’évêque du patriarcat Œcuménique, évitant l’administration Synodale russe. Et les hiérarques du patriarcat Œcuménique ne refusaient pratiquement jamais aux croyants orthodoxes de l’Ukraine de la Rive Gauche d’exaucer leurs demandes ».

Eh bien oui, à partir de 1686, sur les terres ukrainiennes, c’était un phénomène fréquent que les « popes errants » et non seulement des popes, mais des hiérarques, en règle générale, des Grecs ou des Serbes, souvent en activité, volontairement séparés de leur éparchie. Le patriarche de Moscou Adrien, en 1694, écrivit au sujet des archevêques grecs et serbes errants en Petite-Russie au métropolite de Kiev, et à l’hetman Mazepa, soulignant le caractère arbitraire de leur ministère et exigeant des autorités ecclésiastiques et séculières de la Petite-Russie une surveillance plus scrupuleuse de leurs activités[17]. En conclusion de sa correspondance, le patriarche Adrien publia en 1695 l’ordre d’interdire, aux nombreux « hiérarques grecs inconnus » qui erraient à travers l’Ukraine, d’officier dans les églises et de les assigner à résidence dans des monastères. La décision d’Adrien fut soutenue par le patriarche de Jérusalem Dosithée. En outre, le patriarche Dosithée, après la mort du patriarche Adrien, écrivit au tsar Pierre en 1702, qu’il ne devait pas faire confiance au clergé errant : « mais ceux qui errent ça et là peuvent introduire des sortes de nouveautés dans l’Eglise », et il prévenait :

« Si vous viennent des Serbes ou des Grecs ou d’autres peuples, qui soient par hasard des personnes sages et saintes, que votre royaume souverain et affirmé par Dieu ne fasse jamais métropolite ou patriarche un Grec, un Serbe ou un Russien, mais des moscovites, et pas seulement des Moscovites, mais des Moscovites de souche ancienne et distinguée »[18]

Il est évident que les patriarches orientaux reconnaissaient seulement au patriarche d eMoscou le droit de décider de la question du clergé «errant » sur le territoire canonique de l’Eglise Orthodoxe Russe. En ce qui concerne l’activité des clercs de Valachie sur les terres unkrainiennes, en Podolie, dans les circonstances où le clergé orthodoxe était rare et tous liens avec la métropole de Kiev limités par les autorités polonaise, il arrivait souvent d’officier à des clercs de Valachie, en règle générale itinérants. Ils étaient souvent sous interdiction d’officier dans les épachies valaques.

Une de ces personnalités pittoresques fut l’évêque Epiphane Tchiguirinski, que les hiérarques du trône Oecuménqiue auraient soi-disant ordonné en Ukraine par désaccord avec l’acte de 1686. En réalité, il avait falsifié ses documents ; il avait été vraiment ordonné pour un bon porix à Iassi ; il avait fait quelque chose un certain temps en Ukraine, ensuite on l’avait pris et amené à Pétersbourg, où on l’avait déchu de son rang et enfermé aux Solovki. Il s’était échappé et s’était retrouvé chez les vieux-croyants russes (et non ukrainiens !), avec lesquels il n’avait, au début, aucune relation. Voilà le genre d’aventuriers que l’évêque Job propose comme preuve de sa juste position, si l’on peut dire. A ce propos, l’image « lumineuse » de l’ev. Epiphane nous amène à un autre problème, le rôle du patriarcat de Constantinople dans l’expansion du schisme du XVII° siècle, à commencer par le Tomos de 1654, en passant par le serment du concile de 1667 et enfin, pour finir, avec les dispositions adoptées par Ambroise Belokrinitski, mort en communion avec le patriarcat de Constantinople.

Monseigneur Job ne peut pas ignorer que les canons des Conciles Œcuméniques et Locaux condamnent sévèrement les popes et les moines vagabonds à qui l’on ordonne d’imposer divers châtiments, jusqu’à l’exclusion et la déchéance du rang (règles 4, 5, 6, 8 du Concile de Chalcédoine). Comment se fait-il que les « popes sauvages » n’éveillent en lui nulle condamnation ? Parce qu’ils sont contre Moscou ? Ou parce que beaucoup de clercs de Constantinople se trouvent dans la position des « popes sauvages » qui n’ont pas de place permanente où exercer leur ministère ?

Lisons plus loin :

« A Constantinople, on ne pouvait même pas penser que l’Eglise-fille de Moscou irait violer les accords et essayerait par la force d’abolir la juridiction canonique de l’Eglise-Mère en Ukraine. A cause de cla, plus tard, après la chute de l’Empire Russe, le patriarche Œcuménique, par un tomos séparé du 13 novembre 1924 pour l’attribution de l’autocéphalie à l’Eglise Polonaise, fut obligé de déclarer l’acte de 1686 non canonique et invalide.

[…]

Sur la base de ce droit historico-canonique pour les éparchies orthodoxes, sur les territoires occupés par la Pologne de l’Ukraine occidentale et de la Biélorussie occidentale, le patriarcat Œcuménique publia un Tomos le 13novembre 1924 sur l’attribution d el’autocéphalie à l’Eglise Polonaise. Ce Tomos supprimait l’acte de 1686, par lequel la chaire de Kiev se transférait sous la tutelle provisoire (l’administration) du patriarcat de Moscou. Le Tomos du patriarcat Oecuménique de 1924 affirme que cette réunion contredisait les droits canoniques et que le patriarcat de Moscou n’avait pas rempli les exigences exprimées dans l’acte de 1686, selon lesquelles la métropole de Kiev devait conserver ses droits à l’autonomie et le lien canonique avec le patriarcat Œcuménique.

De la sorte, l’Eglise Orthodoxe Autocéphale en Pologne (en substance l’Ukraine et la Biélorussie occidentales) se proclama héritière en droit de l’autonomie historique de la métropole de Kiev-Galicie du Patriarcat Œcuménique. C’est à elle, à ce propos, qu’était rattachée la laure de la Dormition de Potchaïev, dont était considéré comme archimandrite le Primat de l’Eglise Orthodoxe autocéphale en Pologne, le métropolite de Varsovie et de toute la Pologne. Au moment de l’occupation allemande, déjà en 1941, d’une partie des éparchies ukrainiennes occidentales de l’Eglise Orthodoxe en Pologne, avec la bénédiction de son Primat, le métropolite de Varsovie Dionysios (Valedinski), par le décret du 24 décembre 1941, surgit « l’Administration de l’Eglise Orthodoxe sur les territoires ukrainiens libérés » dont le chef et l’administrateur était le métropolite de Loutsk Polycarpe (Sikorski), évêqque canonique de l’Eglise Orthodoxe autocépale en Pologne. Cette adminstration est souvent appelée « Eglise Orthodoxe Autocéphale Ukrainienne », mais c’est tout à fait incorrect car c’était un élargissement de la juridiction ecclésiale de l’Eglise autocépale Orthodoxe en Pologne sur les terres ukrainiennes occupées par les Allemands, découlant de ce que l’Eglise avait reçu en Pologne l’autocéphalie sur la base de la métropole de Kiev. Alors fut déclaré locus tenens du trône métropolitain de Kiev le métropolite de Vaesovie Dionysi (Valedinski), en tant que Primat canonique de l’Eglise Orthodoxe autocpéhale sur le territoire de la Pologne, de l’Ukraine et de la Biéolrussie, reconnu Trône Œcuménique par les autres Eglises Orthodoxes Locales ».

A nouveau, ce dont pense se vanter l’évêque Job apparaît comme une chronique regrettable et honteuse d’iniquités, de la part des pouvoirs séculiers tout autant qu’ecclésiastiques. Premièrement, l’évêque Job oublie de rappeler qu’en publiant ce Tomos, le patriarche Grégoire VII créa un véritable schisme dans l’Orthodoxie mondiale, en infiltrant un nouveau style dans la Patriarchie de Constantinople, et que c’est précisément lui qui soutint les rénovateurs soviétiques et proposa au saint patriarche légitime Tikhon de quitter le pouvoir. Mais même lui ne s’est pas risqué à déclarer juridiquement invalide l’acte de 1686. La formulation exacte du Tomos du 13 novembre 1924 est la suivante :

« Le détachement initial de notre trône de la métropole de Kiev, et des églises orthodoxes de Lituanie et de Pologne qui en dépendaient, et leur adhésion à la sainte Eglise de Moscou ne se sont pas déroulées conformément aux décrets canoniques ».

En d’autres termes, le Tomos exprimait l’opinion que le transfert de la métropole de Kiev au patriarcat de Moscou n’était pas entièrement canonique, mais on n’y disait rien de la reconnaissance de l’invalidité par Constantinople de la chaire de Kiev à l’Église russe en 1686. La seule base juridique du Tomos de 1924 consistait en un changement récent des frontières des états :

« Les droits qui touchent aux affaires de l’Eglise, … doivent corresspondre aux changements politiques et administratifs ».

Cependant, si Constantinople avait dû suivre scrupuleusement la règle correspondante du concile de Chalcédoine, il lui aurait fallu dire au revoir à ses éparchies thraces, macédoniennes et crétoises, qui auraient dû être intégrées à l'Eglise Héllène.

La seule base pour le tomos, c’était l'exécution d'un ordre bien payé du gouvernement polonais, dirigé par un ancien socialiste et terroriste, Jozef Pilsudski, persécuteur endurci de l'Eglise Orthodoxe. Dans la Pologne de Pilsudski, dans l’entre-deux-guerres, plus de 700 églises orthodoxes furent détruites, parmi lesquelles un chef-d’oeuvre d’architecture, la majestueuse cathédrale Saint-Alexandre-Nevski, dynamitée en 1922. Immédiatement après le traité de Riga en 1921, les autorités polonaises étaient déterminées à résoudre le problème de l'église orthodoxe en créant une Eglise autocéphale, dépendante du gouvernement national. En cela les sentiments nationalistes, notemment la russophobie, l’ukrainophobie et la biélorussophobie des personnalités politiques les plus influentes, qui s’exprimaient dans la lutte avec les langues russe, ukrainienne et biélorusse, la persécution de la foi orthodoxe et du caractère populaire russe, jouèrent un rôle important. Les autorités incitèrent les évêques du diocèse de Varsovie, d’abord Georges (Yaroshevski) puis Dionysios (Valedinski) à obtenir d’abord une autonomie complète puis une autocéphalie pour l’Eglise Orthodoxe en Pologne. Les hiérarques opposés à l’autocéphalie polonaise (et des dizaines de simples prêtres d’autant plus) furent soit isolés et mis à l’arrêt chez eux, soit exilés à l’extérieur de la Pologne.

Dans le même temps, ils n'ont présenté aucune revendication concernant les paroisses restantes en Ukraine. De surcroît, Georgui Yarochevski a été contraint de résoudre le problème du statut canonique du diocèse prérévolutionnaire de Volynie-Jitomyr, divisé entre la Pologne et l'URSS, et obtint de l'archevêque de Volynie-Jitomyr Averky (Kedrov), son consentement écrit pour le transfert sous la direction des métropolites de Varsovie de la partie occidentale de l’éparchie de Volynie-Jitomir avec la laure de Porchaïev.

En même temps, le patriarcat de Constantinople profitait, en 1924, de la situation pour renforcer son influence.

« … L’attribution à l’Eglise Orthodoxe en Pologne de l’autocéphalie se révéla très différente de l’autocéphalie habituelle. Ainsi, l'Église orthodoxe de Pologne dut introduire dans toutes les églises une commémoration obligatoire du nom du patriarche de Constantinople, elle s'engagea à recevoir le saint chrême du patriarcat Oecuménique et perdit le droit d'entretenir des relations directes avec d'autres églises autocéphales, ce qu’elle dût faire par l'intermédiaire du patriarcat de Constantinople. Pour la surveillance des affaires de l'église en Pologne, Constantinople nomma un apocrisaire spécial au rang d'évêque, etc. Ces restrictions liturgiques, interécclésiales, judiciaires et administratives suggèrent que l'Église orthodoxe de Pologne reçut une prétendue «autocéphalie incomplète» non canonique, autrement dit, elle fut transférée sous la juridiction et mise à la disposition du Trône de Constantinople. S’attaquant à nouveau à l’intégrité de l’Eglise Russe, Constantinople ne se limita pas aux éprachies orthodoxes de l’état polonais, dans le Tomos du 13. XI. 1924, s’exprime sans équivoque le point de vue de la soumission à Constantinople d’à nouveau toute la métropole de la Russie méridionale, qui fut en son temps arrachée par elle à son unité avec l’Eglise Russe et réunie au Patriarcat de Moscou en 1687»[19]

Avec le début de la guerre contre l’URSS, par ordre du métropolite de Varsovie Dionysios (Valedinski) furent imprimés, dans la typographie Synodale polonaise, des formulaires intitulés « L’humble Dionysios, partiarche de Moscou et de toutes les Russie »( !), qui se conservèrent imprimées jusqu’à l’automne 1941, mais furent ensuite détruits. En d’autres termes, le métropolite de Varsovie Dionysos s’était décidé pour un brigandage canonique avec le soutien des nazis, les pires ennemis de l’humanité en général et des slaves et de la Pologne en particulier. Fin septembre 1941, le Conseil de l'église orthodoxe panukrainienne invite le métropolite Dionysios à devenir le chef de «l'Église ukrainienne autocéphale» restaurée et est prêt à accepter cette invitation. Cependant, les autorités allemandes lui ont interdit d'entrer sur le territoire de l'Ukraine occupée. Le 24 décembre 1941, le métropolite Dionysios nomma l'archevêque Polycarpe (Sikorsky) "administrateur provisoire de l'Église orthodoxe autocéphale dans les terres libérées de l'Ukraine". Les autocéphalistes se référaient à l'autorité du métropolite Dionysios, très haute aux yeux des autorités allemandes, qui, à leur tour, adressèrent avec succès une requête à leur propos au ministère allemand des Affaires étrangères. Monseigneur Dionysios cherchait vraiment à devenir le patriarche de toutes les Russie et à étendre l'UAOC au maximum des territoires occupés par les Allemands: par exemple, des paroisses de l'UAOC étaient créées, en 1942-1943, jusque dans les territoires occupés de la RSFSR qui bordaient l'Ukraine, dans la région de Koursk (sous la juridiction de Théophile (Buldovsky), reçu dans l’UAOC), bien que cette dernière n'eût rien à voir avec la métropole de Kiev. À ce propos, voici ce qui s’est passé dans les régions de Koursk et de sa voisine Orel, pendant l’occupation allemande. Nous rapporterons le témoignage d'Alexandre Werth, tiré de son célèbre livre «La Russie dans la guerre de 1941-1945»:

« Près d’un grand bâtiment de briques de la prison d’Orel, on exhumait des cadavres d’une tranchée. De loin, ils avaient l’air de poupées de chiffons d’un marron verdâtre, on les rangeait à côté de la tranchée, de là où on les avait sortis. Deux représentants du pouvoir soviétique triaient les crânes, certains avaient des impacts de balle à la nuque, d’autres n’en avaient pas. De la tranchée montait une puanteur stagnante et caustique. On déterra 200 cadavres, mais à en juger par la longueur et la profondeur de la tranchée, il se trouvait là au moins 5000 cadavres. Certains des « spécimens » étaient des cadavres de femmes, mais la plupart étaient des hommes. La moitié était constituée de prisonniers de guerre soviétiques morts de faim et de différentes maladies. Les autres étaient des soldats ou des civils qui avaient reçu une balle dans la tête. Les exécutions avaient lieu à 10 heures du matin, les mardis et vendredis. L’escouade d'hommes de la Gestapo qui effectuaient les exécutions se rendait méthodiquement en prison deux fois par semaine. En plus de celles-là, beaucoup d'autres personnes ont été tuées à Orel. Certaines ont été publiquement pendues en tant que «partisans» sur la place de la ville »[20]

Sur les 114 000 habitants d'Orel, dans la ville il n’en resta que 30 000: les autres furent soit tués par les Allemands, soit moururent de faim, soit furent emmenés en Allemagne ou prirent la fuite.

Après l'évacuation des hiérarques de l'UAOC, devant la progression des troupes soviétiques sur Varsovie, le dimanche des Rameaux 1944, on donna le titre de «patriarche de toute l'Ukraine» au métropolite Dionysios. En acceptant la lettre et le nouveau titre, le métropolite Dionysios prononça un discours de remerciement en ukrainien. Pendant plusieurs mois, le métropolite Dionysios fut rappelé en tant que «patriarche de toute l'Ukraine» aux offices des églises de l'UAOC. Son patriarcat autoproclamé ne fut naturellement pas reconnu par les Eglises canoniques. Après la Seconde Guerre mondiale, en juin 1948, le Met. Dionysios, éliminé à cette époque de l'administration de l'Église polonaise, se tourna vers le patriarche Alexis Ier de Moscou et lui apporta son " repentir sincère pour tous les péchés qu'il avait commis envers l'Église mère."

D’autres aspects de l'entretien avec l’évêque Job (Getcha) pourraient encore être abordés, en particulier son désir ardent de réhabiliter Ivan Mazepa - parjure et incestueux - et de le présenter, avec son complice Philippe Orlik, comme un défenseur de la constitution ukrainienne (qui n’existait pas à l'époque). Cependant, ce qui précède suffit pleinement à l’évaluation de la compétence de l’évêque Job.

Source

 

  1. L’archevêque Job (Guetcha) de Telmessos : L’Ukraine a toujours été le territoire canonique du Patriarcat Œcuménique // https://glavcom.ua/ru/interview/arhiepiskop-telmisskiy-iov-gecha-ukraina-vsegda-byla-kanonicheskoy-territoriey-vselenskogo-patriarhata-528608.html
  2. Macaire (Boulgakov) métropolite. Istoria Rousskoï Tserkvi 5° partie. T.8 M. 1996. P.400
  3. Аkty Yugo-Zapadnoy Rossii. Part. 1 T.5 P.120
  4. Аkty Yugo-Zapadnoy Rossii. Part. 1 T.5 P.120
  5. Аkty Yugo-Zapadnoy Rossii. Part. 1 T.5 P.142-143
  6. Ayverdi S. Türk – Rus Münâsebetleri ve Muhârebeleri. İstanbul, 2012. P. 169–170; Orechkova S.F. Osmanskaya imperiya vo vtoroy polovine XVII v.: vnutrenniye problemy i vneshnepoliticheskiye trudnosti // Osmanskaya imperiya i strany Tsentral'noy, Vostochnoy i Yugo-Vostochnoy Yevropy v XVII v. M., 2001.Part. 2. P. 19.
  7. Selon le chercheur turc M. Inbashi, il était important que les Ottomans établissent leur présence en Ukraine, ce qui leur permettait d'intervenir ouvertement dans les affaires politiques de la région, notamment en contrôlant directement leurs territoires vassaux, tandis que le gouvernement ottoman cherchait à créer une base commode pour la participation des forces de Crimée dans les campagnes turques en Europe (voir: İnbaṣı M. Ukrayna'da Osmanlılar: Kamaniçe seferi ve organizasyonu (1672). Istanbul, 2003. S. 18-19).
  8. Defterdâr Sarı Mehmed Paşa. Zübde-i Vekaiyat: Tahlil ve Metin (1066 – 1116/ 1656 – 1704) / Hazirlayan A. Özcan. Ankara, 1995. S. 28.
  9. İnbaṣı M. Op. cit. P. 18–19.
  10. Kołodziejczyk D. Podole pod panowaniem tureckim: Ejalet Kamieniecki 1672–1699. Warszawa, 1994. P. 88.
  11. Defterdar Sarı Mehmed Paşa ... P. 28. Voir aussi: Akty, otnosyashchiyesya k istorii Yuzhnoy i Zapadnoy Rossii, sobrannyye i izdannyye Arkheograficheskoy komissiyey. SPb., 1879. T. 11. № 71. Stb. 242; Florya B.N. Voyny Osmanskoy imperii s gosudarstvami Vostochnoy Yevropy (1672 – 1681 gg.) // Osmanskaya imperiya i strany Tsentral'noy, Vostochnoy i Yugo-Vostochnoy Yevropy v XVII v. M., 2001. Part. 2. P. 114–115.
  12. Defterdar Sarı Mehmed Paşa. Op. cit. P. 28–29; Floria B.N. Voyny… С. 114
  13. Karaköse H. Çehrin Seferi ve Osmanlı’nın Ukrayna Politikası // Merzifonlu Kara Mustafa Paşa Uluslararası Sempozyumu (08–11 Haziran 2000). Merzifon, 2000. P. 155–171. Vassili Daoudov, envoyé à Istamboul à la fin de 1678, communiqua à Moscou en été 1679 que le sultant voulait se soumettre « toute la Petite-Russie sur les Sept rivières, ce que contrôlaient les cosaques » (.RGADA. F. 89. Op. 1. Livre. 19. L. 99 rev.).
  14. Yafarova M. R. Russko-osmanskoye protivostoyaniye v 1677–1681 gg.: D. M., 2017.
  15. Kostomarov N.I. Ruina // Kostomarov N.I. Sobraniye sochineniy: Istoricheskiye monografii i issledovaniya. SPb., 1905. L. 6. T. 15. P. 322; Florya B.N. Rossiya, Rech' Pospolitaya i Pravoberezhnaya Ukraina v posledniye gody getmanstva P. Doroshenko (1673–1676 gg.) // Drevnyaya Rus'. Voprosy mediyevistiki. 2016. № 3 (65). P. 86–90.
  16. RGADA. F. 89. Op. 1. Livre. 19. L. 87 env.
  17. AYUZR. Part.1. Tom 5. Akty, otnosyashchiyesya k delu o podchinenii Kiyevskoy mitropolii Moskovskomu Patriarkhatu (1620-1694). Kiyev, 1872. № CXXIX. P. 406-413.
  18. Voir: Kapterev N.F. Snosheniya Iyerusalimskogo Patriarkha Dosifeya s russkim pravitel'stvom (1669-1700). M. 1891. Annexe № 8.
  19. Bouïevskiy Alekseï. Patriarkh Konstantinopol'skiy Grigorii VII i Russkaya Pravoslavnaya Tserkov'. Zhurnal Moskovskoy Patriarkhii. 1953 №4. P. 33–38. // http://archive.e-vestnik.ru/page/index/195304214.html
  20. Werth Alexandre. Rossiya v voyne 1941–1945. M.: Voyenizdat, 2001.
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